07/10/2025

Urgences médicales en EHPAD : modes d’action, responsabilités et organisation

Anticiper l’imprévu : pourquoi un protocole d’urgence est crucial en EHPAD

Le vieillissement de la population et la prévalence accrue de troubles chroniques font des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) des lieux exposés à de fréquentes situations d’urgence médicale. Selon la Drees, plus de 600 000 résidents vivent en EHPAD en France, avec une moyenne d’âge de 86 ans (Drees, 2019). Les situations d’urgence (chutes, crises cardiaques, détresses respiratoires...) y sont fréquentes : une étude menée par l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris constatait qu’environ 30 à 35% des résidents avaient fait l’objet d’au moins une intervention médicale d’urgence majeure au cours de leur séjour (Egora, 2022). Adopter un protocole précis, formalisé et partagé entre équipes, c’est garantir une rapidité d’action et limiter les risques de perte de chance pour des personnes vulnérables.

Premières minutes décisives : la détection de l’urgence et l’alerte du personnel

En EHPAD, chaque professionnel — aide-soignant, infirmier, agent de service — doit reconnaître sans délai les signaux d’alerte d’une urgence médicale. Les protocoles prévoient que le premier sur les lieux :

  • Vérifie l’état de conscience de la personne (réponse, mouvement, respiration). En cas de doute, le principe de précaution prime.
  • Lance l’alerte interne : appel immédiat à une infirmière ou au coordinateur médical via téléphone, bip ou interphone, en précisant la localisation et le motif.

Les statistiques montrent que 10 à 13 % des résidents font une chute chaque mois et près d’un quart d’entre elles nécessitent une intervention médicale (HAS, 2017). La rapidité de l’évaluation initiale est donc un facteur déterminant.

Protocole standard : déroulé des gestes et coordination de la prise en charge

La Haute Autorité de Santé (HAS) recommande d’appliquer en EHPAD, comme dans tout établissement médico-social, le schéma suivant :

  1. Sécurisation des lieux : écartement des objets dangereux, installation du résident en position adaptée (latérale de sécurité si inconscient).
  2. Évaluation rapide de la situation : prise des constantes vitales (pouls, tension, fréquence respiratoire, saturation, température) si le matériel le permet. Utilisation d’échelles type Glasgow, NEWS-2 ou AVD/AVC selon la situation.
  3. Transmission claire des informations : noter l’heure, la nature de l’incident, les antécédents médicaux connus, les médicaments pris.
  4. Décision d’appeler le SAMU (15) : critère d’urgence vitale ou doute. L’infirmier(e) est en général responsable de ce choix, mais en l’absence d’infirmier sur site, un soignant formé peut déclencher l’appel.
  5. Suivi constant en attendant l’aide médicale : surveillance continue, assistance respiratoire de base en cas de besoin (manœuvres non invasives), gestes de premiers secours (massage cardiaque, défibrillation si le matériel est disponible).
  6. Accompagnement psychologique du résident et transmission de l’information à la famille en cas d’hospitalisation imminente.

Les particularités de l’organisation médicale : rôle des professionnels et limites de compétence

Un point déterminant du protocole reste l’articulation entre les différents acteurs présents en EHPAD :

  • L’infirmier(e) assume la première évaluation médicale sérieuse et peut réaliser des gestes délégués tels que l’injection d’antalgiques d’urgence, l’administration d’oxygène, ou encore l’utilisation d’un défibrillateur automatisé externe (DAE).
  • Le médecin coordonnateur pilote la stratégie de soins du site, mais il n’est pas toujours présent 24h/24. En cas d’absence, le dossier médical du résident doit permettre au SAMU d’avoir une vue complète sur ses antécédents.
  • Le personnel non médical (aides-soignants, agents de service), même formé aux premiers secours, doit savoir à quels seuils d’alerte faire appel à l’infirmier ou demander l’intervention externe.

En 2022, une étude de l’ARS Île-de-France rapportait qu’seulement 40 % des EHPAD disposaient d’un infirmier la nuit, rendant la formation des équipes de nuit à l’appréciation de l’urgence déterminante (ARS IdF, 2019).

Communication externe : mobilisation du SAMU, continuité des soins d’urgence

À partir du déclenchement de l’alerte externe, le protocole impose :

  • Un appel au SAMU (15) avec transmission synthétique : identité du résident, raisons précises de l’appel, paramètres vitaux, traitements en cours et directives anticipées (si connues).
  • La mise à disposition du dossier de soins pour les équipes SMUR ou ambulanciers qui interviennent sur place.
  • La traçabilité de toutes les interventions : chaque acte doit être inscrit dans le dossier du résident, pour permettre une analyse a posteriori et une bonne coordination avec l’hôpital d’accueil.

Certaines régions disposent de conventions entre EHPAD et centres hospitaliers pour des interventions plus directes des équipes mobiles de gériatrie, ou pour organiser la « téléexpertise » en amont d’une hospitalisation (GIRCI IDF, 2021). En 2022, plus de 4000 EHPAD en France étaient connectés à un dispositif de télé-médecine pour l’évaluation urgente à distance.

Facteurs aggravants, réalités de terrain et adaptations

Au-delà du protocole, les professionnels font face à des situations complexes :

  • L’unité Alzheimer implique des résidents ayant fréquemment des réactions imprévisibles, ce qui nécessite une adaptation des stratégies de communication en urgence.
  • Les personnes en fin de vie requièrent parfois une application différente des gestes de réanimation, en accord avec les directives anticipées ou la personne de confiance.
  • La pandémie de Covid-19 a mis en lumière la nécessité de protocoles spécifiques d’isolement et de prise en charge des détresses respiratoires, désormais intégrés à la plupart des procédures internes d’EHPAD.

Selon le rapport IGAS 2022, la crise sanitaire a « obligé 81% des EHPAD à revoir leurs protocoles d’urgence, avec un accent sur la désinfection et l’organisation de filières médicales spécifiques » (IGAS, 2022).

Prévention, formation et audit des protocoles : maintenir un haut niveau de qualité

Les recommandations récentes insistent sur trois axes déterminants :

  1. Formations régulières pour tout le personnel, incluant des mises en situation, pour entretenir réflexes et coordination (la HAS recommande deux exercices « grandeur nature » par an).
  2. Mise à jour et affichage clair des procédures (plans d’intervention, numéros d’alerte, checklists) dans chaque service.
  3. Audits qualité : analyse systématique des gestes d’urgence réalisés, restitution collective, actualisation des protocoles.

À noter que la certification HAS de 2023 intègre une vérification accrue des process d’alerte et de coordination, avec des indicateurs sur les délais moyens de prise en charge (HAS, 2023).

Évolution des protocoles et défis pour l’avenir

L’amélioration continue des chaînes de prise en charge d’urgence en EHPAD reste un enjeu de santé public. Multiplication des pathologies lourdes, pénurie de personnel médical certain jours, fracture numérique : les réponses s’affinent mais impliquent la vigilance de tous les acteurs. Les démarches de « gestion de risque » inspirées du secteur hospitalier commencent à infuser dans les EHPAD, avec l’émergence d’outils numériques de « déclenchement intelligent » de l’alerte (bracelets connectés, systèmes de monitoring à distance).

À l’avenir, la prévention (prévention des chutes, éducation thérapeutique, protocoles de communication des symptômes) et la montée en compétence pluridisciplinaire seront des axes clés pour garantir à chaque résident une sécurité optimale, de jour comme de nuit, face aux urgences médicales.

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